Comment expulser un locataire qui ne paye pas son loyer ? La procédure d’expulsion vient justement d’être impactée par la réforme du 23 mars 2019 , avec la création d’un nouveau juge compétent pour en connaître, le Juge des Contentieux de la protection. Une modification a également été apportée au régime applicable aux meubles abandonnés par l’occupant expulsé, pour simplifier les modalités en vue de leur mise aux enchères.
C’est donc l’occasion de revenir sur cette procédure qui peut s’avérer longue et piégeuse pour le bailleur.
Comme souvent en matière immobilière (qu’il s’agisse des opérations sur fonds de commerce, bail commercial, saisie immobilière…) le droit des baux d’habitation, et la procédure d’expulsion en particulier, s’avère technique et complexe. La matière a fait l’objet de réformes successives ces dernières années [1] et fait l’objet de nombreuses dispositions d’ordre public (délais, mentions obligatoires, trêve hivernale…).
Il est conseillé aux parties de s’adjoindre les services de professionnels expérimentés et habitués à la matière (huissier, avocat en droit immobilier), pour éviter de commettre des erreurs qui peuvent s’avérer lourde de conséquences, venant encore aggraver le préjudice d’un propriétaire victime d’impayé. Ceci d’autant plus que le propriétaire qui ne respecterait pas les voies légales pour expulser son locataire s’expose à des poursuites pénales, avec une peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et de 30.000 € d’amende [2].
On reviendra en premier lieu sur la procédure applicable en matière d’expulsion (I) avant de rappeler une série de conseils et de réflexes pratiques pour le propriétaire pour tenter de minimiser les conséquences de la longueur des procédures d’expulsion (II).
I. La procédure d’expulsion.
Globalement, la procédure d’expulsion suit une série d’étapes obligatoires, dont les délais sont incompressibles : 1. la signification d’un commandement de payer, 2. la délivrance d’une assignation en référé, 3. la procédure devant le tribunal judiciaire, 4. les opérations d’expulsion, 5. et le recours à la force publique si nécessaire.
1. Signification d’un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail.
C’est la première étape à respecter, et un réflexe immédiat que doit avoir le propriétaire en cas d’impayés de loyers. La signification le plus rapidement possible d’un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail. Ce commandement de payer doit obligatoirement être délivré par huissier. La matière est gouvernée par l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 modifiée notamment par la loi Alur. Le commandement de payer doit reproduire la clause résolutoire du bail dans son intégralité et contenir en outre un certain nombre de mentions, à peine de nullité, destinées pour l’essentiel à informer le locataire de ses droits.
L’huissier de justice informera en outre de la signification du commandement la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives prévue à l’article 7-2 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 (Ccapex).
La clause de résiliation de plein droit du bail ne produit effet que deux mois à compter de la signification du commandement demeuré infructueux. C’est donc un premier délai incompressible auquel doit faire face le bailleur. Si le locataire ne règle pas ses impayés dans ce délai, la clause résolutoire reprend son plein effet et le locataire est déchu de tout titre d’occupation. Il est alors indispensable de saisir le Juge des contentieux de la protection, afin de solliciter une décision d’expulsion.
2. L’assignation en référé.
C’est sur ce point que la réforme du 23 mars 2019 apporte une modification substantielle, le Juge compétent n’étant désormais plus celui du tribunal d’instance, mais le nouveau Juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire. Pour le reste, la procédure ne change pas et débute par la délivrance au locataire d’une assignation, de préférence en référé compte tenu de l’urgence.
Une fois encore, cette étape doit suivre un formalisme particulier et il est conseillé d’être assisté d’un avocat. L’assignation doit contenir un certain nombre de mentions obligatoires notamment celles prévues aux articles 54 et 56 nouveaux du Code de procédure civile.
L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 impose en outre que l’assignation soit notifiée au préfet compétent par lettre recommandée A/R, au moins deux mois avant l’audience.
C’est donc un délai incompressible de quatre mois minimum qui va trouver à s’appliquer entre la signification du commandement de payer et la première date d’audience. Là encore, le bailleur va devoir patienter le temps de la procédure, dont la durée est malheureusement incertaine.
3. La procédure devant le tribunal.
La date d’audience est fixée par le greffe et dépend ainsi de l’encombrement du tribunal (certains secteurs étant plus chargés que d’autres). Malheureusement, le bailleur ne peut pas choisir la juridiction, nécessairement déterminée par le lieu de situation de l’immeuble.
Pour retarder au maximum la date des plaidoiries, il est fréquent que le locataire sollicite des renvois successifs. En général, un premier renvoi lui est systématiquement accordé notamment lorsqu’il demande la désignation d’un avocat commis d’office pour se défendre. Il faudra alors patienter le temps de sa désignation.
Pour tenter d’éviter la pratique des renvois à répétition, il est conseillé au propriétaire de communiquer ses pièces le plus rapidement possible, si possible en même temps que l’assignation, afin que le locataire ne puisse invoquer un manquement au principe du contradictoire et solliciter ainsi du temps supplémentaire pour préparer sa défense.
Il faut également noter que le juge saisi n’est pas tenu de constater la résiliation du bail, même si les délais du commandement sont expirés. Comme le prévoit l’article 24 de la loi de 1989, le Juge peut suspendre les effets de la clause résolutoire en décidant d’accorder d’office au locataire des délais, jusqu’à 3 ans, notamment si le Juge estime que le locataire a la capacité de payer ses arriérés de loyer. Le propriétaire peut bien évidemment tenter de s’y opposer, mais la décision ne relève que du magistrat.
Si le locataire ne respecte pas l’échéancier fixé par le Juge, la suspension de la clause résolutoire prend fin et son expulsion devient possible, à condition que le bailleur ait obtenu du juge une clause dite de « déchéance du terme ». Dans cette hypothèse (non-respect par le locataire de l’échéancier fixé par le juge) il n’est pas nécessaire de réassigner. Il suffira de signifier au locataire la déchéance du terme par huissier.
4. L’exécution de l’expulsion.
Prochaine étape, la signification de la décision rendue au locataire, avec délivrance d’un commandement d’avoir à libérer les lieux dans les deux mois. Le commandement doit être délivré par acte d’huissier et, ici encore, notifié par lettre recommandée au Préfet.
L’expulsion ne peut avoir lieu qu’à l’expiration d’un délai de deux mois qui suit le commandement, conformément à l’article L 412-1 du Code des procédures civiles d’exécution. Toutefois ce délai ne s’applique pas lorsque le juge qui ordonne l’expulsion constate que les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait – c’est le cas des squatteurs notamment.
Le locataire a encore la possibilité de demander des délais soit au juge des référés après l’ordonnance d’expulsion, soit au juge de l’exécution (JEX du tribunal judiciaire) après la signification du commandement d’avoir à libérer les locaux. Le Code des procédures civiles d’exécution prévoit que la durée de ces « délais de grâce » ne peut, en aucun cas, être inférieure à trois mois ni supérieure à trois ans [3] .
Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations, des situations respectives des parties, notamment en ce qui concerne l’âge et l’état de santé de l’occupant, la situation de famille ou de fortune du propriétaire et du locataire, ainsi que des diligences que l’occupant justifie avoir faites pour son relogement.
Ces délais de grâce sont cumulatifs et se combinent avec la trêve hivernale prévue à l’article L412-6 du Code des procédures civiles d’exécution, au cours de laquelle toutes les expulsions sont suspendues (du 1er novembre de chaque année jusqu’au 31 mars de l’année suivante).
5. Le recours à la force publique.
Il n’est pas rare que l’occupant tente de se maintenir dans les lieux, même une fois l’ensemble de ces délais expirés. Dans ce cas, le propriétaire devra avoir recours à la force publique, en s’adressant au Préfet du département dans lequel se trouve le logement.
Le Préfet est tenu de répondre dans les deux mois suivant la demande de concours, son absence de réponse équivalant à un refus.
Il arrive en effet que les autorités se montrent récalcitrantes à l’exécution forcée des décisions d’expulsion, pour un certain nombre de raisons liées à l’ordre public.
Le propriétaire est fondé à saisir le tribunal administratif afin de demander l’annulation de la décision de refus de concours de la force publique.
L’État refusant le concours de la force publique engage en effet sa responsabilité, c’est pourquoi le tribunal administratif indemnise presque systématiquement le propriétaire dans cette situation, en lui allouant des dommages-intérêts.
II. Conseils pratiques aux propriétaires face aux longueurs des procédures d’expulsion.
Comme on l’a vu, les procédures d’expulsion de locataires qui ne règlent pas leurs loyers sont particulièrement piégeuses. Aux délais précités, il faut également tenir compte de l’impact des procédures de surendettement des particuliers qui viennent parfois encore allonger le cours de ces procédures.
Il convient alors pour le propriétaire d’avoir à l’esprit un certain nombre de réflexes utiles qui vont lui permettre le cas échéant de gagner du temps et de tenter de minimiser les conséquences des impayés.
1. Faire valoir ses droits à l’occasion d’une procédure de surendettement ouverte contre son locataire.
Il n’est pas rare que les procédures d’expulsion soient impactées par le dépôt par le locataire d’un dossier de surendettement devant la commission de surendettement des particuliers.
La recevabilité de la demande de traitement de la situation de surendettement du débiteur emporte :
- suspension et interdiction automatique et de plein droit des procédures d’exécution à l’encontre du débiteur (art. L. 722-2 du Code de la consommation) ;
- l’interdiction faite au débiteur de régler les créances nées antérieurement à la décision de recevabilité.
Toutefois, l’ouverture d’une procédure de surendettement ne démunit pas le propriétaire de l’ensemble de ses droits. Le propriétaire doit garder à l’esprit que :
- seuls les loyers impayés avant la mise en œuvre de la procédure de surendettement sont concernés par les mesures imposées par la commission : les loyers à compter de l’issue de la procédure doivent donc obligatoirement être payés par le locataire.
- la procédure du surendettement ne bénéficie pas aux cautions : il sera donc toujours possible de tenter d’obtenir le recouvrement des loyers par ce biais.
Enfin, à toutes les étapes de la procédure devant la commission, le bailleur peut :
- contester les décisions de la commission de surendettement relatives aux délais de paiement, à la suspension ou à l’effacement partiel des dettes locatives accordés au locataire surendetté ;
- contester la décision de la commission relative à la mise en œuvre d’une procédure de rétablissement personnel emportant effacement des dettes locatives ;
- se faire payer en priorité en cas de liquidation judiciaire du patrimoine du locataire surendetté pour se faire rembourser les loyers impayés.
2. Pratiquer une saisie conservatoire dès la survenance des premiers impayés.
Si la décision d’expulsion est longue, le propriétaire peut toutefois pratiquer une saisie sur les comptes bancaires de son locataire dès la survenance des premiers impayés. Cela est même vivement conseillé afin d’éviter que ce dernier ne tente d’organiser son insolvabilité.
La saisie conservatoire est effectuée à la demande et aux frais du bailleur, sans qu’aucune autorisation judiciaire préalable ne soit nécessaire [4].
Il sera également possible pour le propriétaire de faire procéder à une saisie conservatoire entre les mains de la caution, à la condition d’avoir obtenu préalablement une autorisation du Juge. Il est vivement conseillé d’être assisté par un avocat sur ce point.
3. Des réflexes à avoir devant le tribunal.
Pour tenter d’accélérer la procédure, le propriétaire doit également avoir un certain nombre de réflexes devant le tribunal : demander une date d’audience rapprochée au greffe, communiquer rapidement ses pièces afin d’éviter que le locataire ne demande un renvoi supplémentaire, mais surtout, demander au Juge d’assortir sa décision d’une astreinte. En effet, le prononcé d’une astreinte en vue d’inciter le débiteur à s’exécuter n’est pas incompatible avec la trêve hivernale.
À cet égard, on rappellera aux propriétaires que la trêve hivernale ne doit pas les empêcher d’engager une procédure devant le tribunal. Bien au contraire, si les mesures d’expulsion sont suspendues, c’est en revanche l’occasion de gagner du temps sur les délais de la procédure judiciaire en la commençant immédiatement, même en hiver.
4. Des réflexes à avoir lors de la conclusion du bail.
Enfin, les propriétaires doivent prendre un certain nombre de précautions avant la signature du bail. Il est recommandé d’exiger des locataires la fourniture d’une caution personnelle et solidaire (la caution pouvant toujours être activée, même en cas de surendettement du locataire). D’obtenir les coordonnées bancaires du locataire (notamment pour l’exécution d’une saisie conservatoire si nécessaire). Il peut également être conseillé de souscrire une assurance spéciale en garantie des loyers impayés.
À noter enfin que certains locataires sont éligibles au dispositif Visale, constituant une caution accordée par Action Logement au locataire qui prend en charge le paiement du loyer et des charges locatives de la résidence principale, en cas de défaillance de paiement. [5]
Notes :
[1] Loi Alur (n° 2014-366 du 24 mars 2014), loi Elan (n° 2018-1021 du 23 novembre 2018), loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (n° 2019-222 du 23 mars 2019).
[2] Article 226-4-2 du Code pénal.
[3] Article L. 412-4 Code des procédures civiles d’exécution.
[4] Article L. 511-2 du Code des procédures civiles d’exécution.
[5] Toutes les informations relatives à ce dispositif sont disponibles sur le site : https://www.visale.fr/.
Source : Comment expulser un locataire qui ne paye plus son loyer ? Par Baptiste Robelin, Avocat.